Article rédigé pour Holistik Magazine/Sofia Barao.
[Début 2003, j’ai traversé une période de quelques semaines durant laquelle j’ai vu disparaître de ma vie quotidienne ma famille créée – divorce en parfait accord, ma famille d’origine – conflit avec ma fratrie, mon lieu de travail – vendu, mon activité – centre de stages, et le grand amour de ma vie. Cette perte générale a généré à l’époque tant de douleur que j’ai cru mourir de chagrin. Il ne me restait que du temps et des moyens financiers. Je suis partie au Népal, découvrir le pays de notre « fiston » de l’Himalaya, un enfant que nous avions parrainé sur une dizaine d’années.
Après plusieurs séjours au pays des neiges, je suis partie en 2008 m’installer, seule, à Katmandou, pour ouvrir mon restaurant français de qualité.]
Avec intégrité, transparence, opiniâtreté, j’avais relevé tous les défis, passé toutes les épreuves (y compris une attaque des Maoïstes), tout essayé, tout tenté pour faire décoller l’activité, en vain. Certes le contexte – politique et économique – était peu porteur, c’est le moins que l’on puisse dire, et j’avais fait une erreur initiale stratégique : le choix de l’emplacement. Si les trois premières années avaient été riches de promesses, à partir de la 5ème année, j’ai dû me rendre à l’évidence : en dépit des récompenses et labels, la « réussite » n’était pas au rendez-vous. Je ne vais pas m’attarder ici sur les multiples causes du résultat, ce n’est pas notre sujet, mais penchons-nous plutôt sur ses effets.
Plusieurs amis proches, en prenant connaissance de mon projet, avaient contribué sans hésitation à son financement. Connaissant bien la qualité de mon travail et de mon état d’esprit, ils avaient décidé de me faire confiance, sans s’impliquer au niveau opérationnel cependant. J’étais seule aux commandes et pleinement responsable de chacun de mes choix et décisions.
J’avais pu constater, au fil des 6 ans écoulés, un constant travail de sape de toutes mes croyances : tout ce sur quoi mes actions étaient fondées se révélait inefficace, se perdait dans le vide, rien ne produisait les résultats espérés. Le contexte culturel était fort différent, certes, mais je pouvais voir que mes amis demeurés en France faisaient le même constat : les leviers économiques qui fonctionnaient auparavant ne fonctionnaient plus.
Face à la débâcle qui me pendait au nez, je ne pouvais qu’être le témoin impuissant de l’effondrement de « mon monde ». Je savais qu’il n’y avait plus grand’ chose à espérer, j’étais seule dans le naufrage, loin de tout, et mon seul objectif, quelque peu obsessionnel, était de récupérer au moins les investissements de mes associés. C’est cet attachement acharné qui a scellé le résultat désastreux : ayant renoncé à céder l’affaire pour un montant qui ne me semblait pas acceptable, le marché étant défavorable à l’époque de la transaction, je l’ai finalement pratiquement donné, perdant tout matériellement.
En parallèle de cette fin peu glorieuse et sur quelques semaines, j’ai eu plusieurs opportunités inattendues de démarche de transformation avec des personnes remarquables. Je dois préciser ici que j’ai commencé un chemin assidu d’éveil de la Conscience en 1984, conscient, déterminé et incarné, qui m’avait déjà apporté une considérable libération et surtout des outils pour œuvrer au quotidien. Mon inaptitude à la souffrance m’a toujours poussée à l’évolution de mes modes de fonctionnement. Un shaman vivant à Katmandou, internationalement réputé, m’a accompagnée au fil des années précédentes. Il me répétait « tu n’as pas besoin d’aide », ce qui m’a été souvent dit au cours de ma vie – et qui avait généralement le don de m’agacer prodigieusement – preuve irréfutable que je cherchais des « solutions » à l’extérieur de moi.
Tout cela peut vous sembler bien prosaïque, néanmoins, cette expérience que l’on pourrait qualifier de matérielle s’est révélée initiatique et a généré une authentique métamorphose.
Alors que je suivais assidûment des enseignements spirituels sur Internet et que je méditais très régulièrement, une question d’Isabelle Padovani dans une de ses vidéos m’avait percutée : « quelle partie de toi n’a pas envie d’être ici [par ¨ici¨, entendre ¨incarnée dans cette vie terrestre¨] » ? J’ai réalisé qu’en effet, une partie de moi ne pensait pas que ses besoins pouvaient être satisfaits, et c’était sans aucun doute la partie la plus élevée de mon Être, qui aspirait à la Paix, à l’Amour, à l’harmonie, etc. Il en résultait une résistance inconsciente à la Vie et des modes de fonctionnements délétères.
Une séance à distance de Bioanalogie m’a apporté une autre révélation tout à fait centrale : est-ce que je peux « prendre la responsabilité de l’Être unique que je suis » ? Si j’ai compris les mots, je n’en ai pas saisi le sens sur le moment et trois ans plus tard, ce sens continue à se révéler et à s’approfondir encore en moi.
Je suivais alors quotidiennement les enseignements d’Eckhart Tolle et cultivais la présence à ce qui Est, en grande partie grâce à la pratique méditative régulière.
Parmi les événements notoires de cette période singulière, le fait le plus marquant est que j’ai été percutée par une vérité qui m’a littéralement explosé à la conscience en regardant une courte vidéo de Byron Katie : la source de mes souffrances tenait au fait que je croyais mes pensées, que je m’identifiais à l’histoire qu’elles me racontaient.
Cette évidence, telle la goutte d’eau de plus, a fait basculer ma réalité en une fraction de seconde et mis en place toutes les pièces du puzzle de mon vécu d’alors et de trois décennies de travail sur moi.
Tout m’apparaissait clairement désormais. L’absurde prenait sens dans la transmutation intérieure de mon état de lutte constante contre la réalité (l’ego nous fait croire que nous avons le contrôle) en une disposition d’accueil serein. De guerrière de la Vie je devenais témoin de ce qui se produit (et non plus de ce qui M’arrive). Mon discours mental négatif, fait d’interprétations, de peurs, de jugements, n’avait tout simplement plus de contrôle sur mon état intérieur. Je devenais capable de laisser les situations être, et je me laissais enfin tranquille, je pouvais moi aussi Être, naturellement, sans lutte et sans effort. Ce qui se produisait autour de moi ne pouvait pas altérer ma Paix intérieure.
J’ai réalisé que cette partie de moi qui n’avait pas envie d’être là pouvait voir ses besoins de Paix, d’Amour et d’harmonie satisfaits parce que je n’allais plus chercher à l’extérieur. J’ai vu que j’étais à la barre de mes états intérieurs, de mes positionnements face au réel, que je pouvais abandonner toutes formes de résistances et qu’au lieu de prendre le risque d’en mourir, je sortais de la survie.
La transformation issue de cette période initiatique était que j’avais enfin, et pour la première fois de ma vie, accepté de m’incarner, dans un choix conscient et assumé. Et il ne fait pas de doute pour moi que c’est la seconde naissance à laquelle nous pouvons aspirer. C’est naître enfin consciemment et entièrement. C’est vivre depuis notre véritable Nature : être capable d’accueillir ce qui est, sans résistance, en aimant même ce que la Vie nous présente.
Si j’avais tout perdu matériellement, l’accès s’était ouvert à ma Nature profonde, je pouvais à tout moment contacter l’espace de Paix, de silence, de bienveillance en moi. J’étais devenue un vide qui pouvait embrasser tout ce qui se manifestait, embrasser l’Autre tel qu’il est, sans attente, jugement, peur ni projection.
Je pouvais voir que le détachement est le résultat naturel de la fin de l’illusion.
Si nous pouvons VOIR nos attachements, nos identifications, nos conditionnements, laisser de l’espace entre notre conscience et ce que nous percevons, sentir que nous sommes le « contenant » de tout ce qui nous parvient – notre représentation égotique du monde, alors nous devenons capables de faire la Paix avec le Réel, l’accueillir inconditionnellement. Nous sortons alors de cette auto-maltraitance qui conduit à la maltraitance manifestée extérieurement à l’échelle de notre entourage comme de l’humanité et de la planète. Nous sommes connectés à notre véritable nature et dimension, nous devenons pleinement le Créateur aimant de notre rapport au monde et notre réalité s’adoucit, devient aimante elle aussi.
« Devenez le changement que vous voulez voir dans le monde » a dit Gandhi. Devenir « qui je suis » – l’Être merveilleux que je suis, que chacun est.
Le monde a besoin de voir se manifester l’Être unique qu’est chacun de nous, parfaitement à sa place, complet, illimité et intemporel (selon la science quantique, nous sommes de l’information non localisée), bienveillant et doux, et surtout incarné, donc pleinement responsable de qui il ou elle est.
Et si le bonheur c’était cette incarnation pleine et entière, simple, choisie et assumée, aimée, reconnue et pleine de gratitude ?