Imaginons l’aventure de l’Humanité comme une sorte de grande randonnée… J’ai pour ma part souvent sollicité la main d’autres que moi pour passer un gué ou franchir un surplomb, pour traverser la rivière vers une contrée de la Conscience inconnue – et je le fais encore régulièrement, puisque je m’aventure encore et toujours plus avant. Cet Autre pour qui la contrée est familière, alors qu’elle se présente à moi en terre vierge, avec son lot de passages délicats et de surprises. Lire (mais aussi écouter) m’est un véritable constituant de cet accompagnement d’éveil dont j’ai bénéficié et si je n’en ai pas abusé (ma culture en la matière reste limitée), quelques ouvrages ont été et restent des ponts, des clés de mon avancée en Conscience.
À mon tour et parce que c’est dans l’ordre des choses, en tant qu’« expert » de ma vie – statut universel que nul ne peut me contester et qu’il ne me viendrait pas à l’idée de contester à quiconque, je tends la main à qui veut traverser un gué ou l’autre que je connais pour les avoir parcourus et explorés.
Il me faut bien le reconnaître, je suis animée depuis l’enfance par deux aspirations profondes, ici dans l’ordre dans lequel elles me sont apparues clairement : servir Dieu toute ma vie et élargir ma Conscience. La première s’est manifestée à moi lors de ma communion solennelle, j’avais alors 13 ans. Certes j’étais déjà habitée par l’idéalisme du collectif et mon ego en avait déjà fait les frais (mon premier souvenir de « trauma » à ce sujet remonte à l’âge de 7 ans), mais cet événement que l’on pourrait taxer de religieux marquait en réalité – je peux en attester aujourd’hui – le début de ma vie spirituelle, dans un engagement puissant et déterminé de me mettre au service de Plus Grand que moi.
L’événement marquant suivant survint 10 ans plus tard, j’avais alors 23 ans. J’étais déjà maman, je vivais déjà le chaos dans la relation à l’homme – relation à moi-même, mais je ne le savais pas encore – et j’ai dit oui avec une profonde certitude et un réel enthousiasme à ma démarche d’éveil de la Conscience et de réalisation de l’Être.
Là furent probablement les deux moments présents de ma vie dont je peux me remercier avec gratitude.
Puis, à 33 ans (étonnantes dizaines et je le découvre en même temps que je l’écris !) j’ai bouleversé toute ma vie, avec ma famille, pour prendre la responsabilité de notre lieu de stages, ce qui fut une étape essentielle de ma réalisation professionnelle et spirituelle. 10 ans plus tard, je vivais le premier épisode de l’aventure de l’Himalaya – 43 ans, et à 53, je quittais le Népal et commençais à accompagner des personnes en quête de détachement et de Paix intérieure, trente ans après le début de ma quête déterminée de Réalisation.
L’écriture me cherche depuis la préadolescence – j’ai écrit mon premier roman à l’âge de 13-14 ans. Je ne l’ai pas conservé et je le regrette aujourd’hui. Il racontait une histoire d’amour difficile pour ne pas dire impossible entre une Française et un Allemand pendant la seconde guerre mondiale… moins de 5 ans avant ma rencontre avec ce qu’on a coutume d’appeler le « Grand Amour de sa vie », un Allemand. J’appris alors par ma mère qu’une de nos aïeules était morte de chagrin pour une histoire similaire. Dieu soit loué je ne suis pas morte de chagrin, mais j’ai cependant cru que ça allait être le cas. En tout cas j’ai entrevu qu’il était possible de mourir de chagrin – idée qui me fait sourire aujourd’hui tant l’identification sous-jacente m’apparaît désormais absurde.
Revenons à l’écriture. Elle me cherche. Elle me trouve parfois et j’en ai chaque fois une grande joie. Écrire est jubilatoire pour moi, Dieu seul sait pourquoi ! Pendant une petite quinzaine d’années, j’ai écrit des chroniques, mon premier séjour au Népal ayant été l’alibi idéal pour partager mes expériences avec qui veut bien, dans un mouvement de l’intérieur vers le collectif, projet qui me taraude depuis bientôt 50 ans !
Dieu seul sait pourquoi : c’est bien là toute l’affaire, sans doute ! La clé du mystère. Peut-être l’écriture m’est-elle le trait d’union avec Plus Grand que moi, la vanne par laquelle ce qui m’anime – La Source – peut tisser le lien entre mes différents plans de réalité et s’exprimer, bien que je n’aie pas réellement conscience du phénomène et que je n’y accorde jusque-là qu’une attention relative en toute ingratitude pour cette aptitude ? Sans doute aussi constitue-t-elle un lien privilégié entre ma perception et le monde perçu.
Un auteur m’a dit (en 2010 ou 2011) de mon écriture qu’elle était non-égoïste, que je partageais mon vécu du cœur-même de mon expérience sans pour autant être jamais le centre de l’attention. J’ai pris cela pour un compliment même si je ne comprends pas comment cela se fait. Si je me réfère aux nombreux retours que j’ai pu avoir des lecteurs de mes chroniques, « on s’y croit », « on ressent les émotions comme si on y était » lorsqu’on lit les récits de mes aventures. Sortir du récit anecdotique pour faire entrer le lecteur dans mon univers me semble une autre paire de manches, un projet plus risqué et en même temps exaltant, enthousiasmant. De toute façon, aujourd’hui, l’aventure intérieure est tout ce que j’ai à offrir parce que j’assume pleinement le fait indubitable qu’il n’y a que ça qui m’intéresse vraiment dans la vie, tout le reste étant contenu dedans.
Ce n’est pas un acte narcissique. Écrire pour moi n’a de sens que dans le partage utile – mon côté pragmatique. Je me suis tant nourrie de l’expertise d’autres dans leur propre vie, que je suppose que mon propre vécu, s’il est exprimé avec honnêteté et authenticité, ne peut que servir d’autres. Même si, assez trivialement, il permet seulement que quiconque se sente moins seul dans cette incroyable épopée que nous semble être la Vie, cela me comble.
J’écris désormais comme la cellule échange des informations avec les cellules voisines, parce que c’est sa Nature, son origine et sa destination, sa réalité du présent. Parcelle d’humanité, je reçois et passe à ma voisine dont je ne suis pas séparée et sans laquelle je ne suis rien, dans un mouvement éternel et sacré. J’écris pour alimenter l’espoir et désamorcer l’illusion. Pour tisser de la Paix et débouter la guerre interne de tout un chacun.
J’écris comme le sang circule dans les veines. Comme l’eau coule à la fontaine. Voilà : pour rafraîchir, désaltérer, transmettre l’information de la Vie (et là je réalise que mon signe est le Verseau !). Sans masque pour grimer l’ego, ce qui serait sa propre manœuvre, en osant poser sur la lumière blanche de la feuille ce qui me traverse. J’écris pour témoigner de l’expérience qui se vit là à l’instant. Sans intention. Parce que c’est là. Et pour tendre la main à celui ou celle, moi la première, qui en lisant ces lignes entendra un écho qui secoue la poussière et impulse un pas de retour à sa vérité intérieure.
Je découvre ce que j’écris avec étonnement et je jubile que cela se produise là, maintenant, à travers « moi » ! Quel miracle que cette connexion avec… pas avec mon mental en tout cas parce qu’il ne précède pas l’écriture – il la suit. Étonnant, non ? Cette connexion avec Plus Grand que moi que je suis parfois si maladroite à exprimer avec les autres. Peut-être ai-je besoin de cet espace libre, vide et silencieux entre « moi » et le monde pour que le cours se sente libre de dire ce qui résonne comme juste et important dans l’instant. J’aimerais préciser ici que ce « moi » n’est qu’une convention de langage, qu’à mes yeux c’est une illusion dont je ne suis plus totalement dupe. Je n’ai pas encore trouvé de mot plus ajusté pour évoquer ce véhicule de l’expérience de la Conscience qui se manifeste dans l’instant présent, la rencontre des divers plans qui fait l’Être qu’est chacun de nous.